La résilience, mot à la mode en politique, psychologie et développement personnel, interroge : à force d’usage, ne masque-t-elle pas une tendance à privilégier la responsabilité individuelle au détriment de la responsabilité collective et politique ?
- Didier Houzel, professeur honoraire de Pédopsychiatrie à l’université de Caen, membre titulaire de l’Association Psychanalytique de France et rédacteur du Journal de la Psychanalyse de l’Enfant
- Laurence Devillairs, philosophe, enseignante à Paris 1 Panthéon Sorbonne
Le mot "résilience" désigne la capacité à surmonter des épreuves sans se briser, comme en physique où une substance reste intacte malgré des conditions extrêmes. Appliqué à l’humain, il évoque la faculté de se relever après des traumatismes. Mais utilisé par certains responsables politiques, il peut devenir une injonction à être fort, au risque d’ignorer les souffrances que les politiques devraient prévenir ou soulager. En France, ce terme évoque souvent Boris Cyrulnik, qui l’a popularisé sans en être l’inventeur : la psychiatrie britannique s’y intéressait déjà dès les années 1930, avec le soutien de chercheurs nord-américains.
La résilience comme enjeu collectif : retour aux origines d’un concept
Didier Houzel, en retraçant l’histoire du concept de résilience, souligne son origine profondément collective et épidémiologique. Selon lui, "il faut revenir à l'origine de l'empreinte de ce terme qui était emprunté à la physique des matériaux par les psychologues, les psychopathologues, les pédopsychiatres." Ce n’est donc pas une notion initialement centrée sur l’individu, mais bien sur les conditions sociales globales qui influencent le développement psychique. Il précise que des auteurs comme Michael Rutter ou James Anthony ont utilisé ce terme "dans le sens : quelles sont les conditions collectives qui vont permettre d'avoir le moins de difficultés dans le développement psychique de la population en général ?" Trois facteurs clés ont alors été identifiés : les conditions physiques et constitutionnelles, "la qualité d'une relation à une personne", et "la cohérence de l'entourage." Didier Houzel insiste sur le fait que "ce n'était pas du tout appliqué à tel ou tel individu", mais bien pensé pour guider des actions collectives, voire politiques, sur les manières de soutenir les enfants et les familles. Finalement, il rappelle que "on peut diminuer la souffrance psychique et les problèmes de développement si on améliore telle ou telle condition extérieure de vie des gens", mettant ainsi en lumière l’enjeu social majeur que représente la résilience.
À écouter
Résilience : un mot fourre-tout qui masque la réalité
Laurence Devillairs critique avec force l’usage banalisé du mot résilience, qu’elle considère comme un cliché vidé de sens. Pour elle, "ce mot est devenu un réservoir pour ne plus penser, et plus grave, pour ne plus désigner la réalité." Elle voit dans cet usage un symptôme de ce qu’elle appelle "l’idéologie du positif", qui pousse à tout positiver, à évacuer la douleur, la plainte ou la colère : "on a utilisé le mot résilience car satisfaction d’un mot pseudo-scientifique qui permettait de ne plus parler de politique ou de morale." Cette rhétorique a pour effet, selon elle, de faire porter toute la responsabilité sur l’individu : "l’individu doit résilier", alors même que "on n'examine plus les conditions objectives, politiques et sociales." En cela, elle dénonce un véritable "effacement du politique". Elle regrette également que le langage psychologique contemporain réduise l’expérience humaine à deux pôles : "d’un côté tout est stress, on ne parle plus de peur, etc., et de l’autre la résilience." Et de conclure : "quand on appauvrit son vocabulaire, on appauvrit sa vie."
Pour en parler
Didier Houzel, pédopsychiatre, professeur honoraire à l’Université de Caen, et psychanalyste membre titulaire de l’Association Psychanalytique de France (APF). Il a notamment publié :
- « Psychanalyse et résilience », dans (dir. par Boris Cyrulnik, Philippe Duval) Psychanalyse et Résilience, Odile Jacob, 2006. p. 247-261
- avec Antoine Devos, Laisse ton esprit prendre son essor. La pédopsychiatrie dynamique en question, éditions du Hublot, 2022.
- La transmission psychique. Parents et enfants, éditions Odile Jacob, 2010.
Laurence Devillairs, philosophe, enseignante à Paris 1 Panthéon Sorbonne. Elle a publié :
- Guérir la vie par la philosophie, PUF, 2017
- La splendeur du monde, aller à la rencontre de la beauté, éditions Stock, 2024
- Petite Philosophie de la mer, La Martinière, 2022
- Être quelqu’un de bien. Philosophie du bien et du mal, PUF, 2019, repris en poche dans la collection « Points Essais » au Seuil, 2024
Références sonores
- Allocution du Président Emmanuel Macron de 2022
- Extrait d’un Tik Tok du compte Mat Résume, 2024 "Comment devenir résilient ?"
- Lecture par Gwendoline Troyano d'un extrait de Mary D. Salter Ainsworth, (1979) “Infant–mother attachment”, American Psychologist, 34(10), 932–937
- Lecture par Riyad Cairat d'un extrait de John Bowlby (1989), “The role of attachment in personality development and psychopathology”. In S. I. Greenspan & G. H. Pollock (Eds.), The course of life, Vol. 1. Infancy (pp. 229–270). International Universities Press, Inc. (Réimpression de « American Journal of Psychiatry », 1987, Vol. 144 ; et de « American Journal of Orthopsychiatry », 1982, Vol. 52).
- Extrait Boris Cyrulnik, La Grande Librairie - “Résilience : malentendu sur un concept”, France 5, Septembre 2024
- Chanson en fin d'émission : “Je survivrai” de Régine (1978)
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