Aline Sitoé Diatta
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La Dame de Kabrousse La Reine de Casamance La Jeanne d'Arc africaine « La femme qui était plus qu'un homme » |
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Aline Sitoé Diatta, aussi appelée « La Dame de Kabrousse », née en à Kabrousse dans le sud du Sénégal, et morte en à Tombouctou, au Mali, est une héroïne de la résistance sénégalaise et particulièrement de la Casamance contre la colonisation française[1].
Cheffe d'un groupe religieux local diola vivant dans le village de Kabrousse, en Basse-Casamance, Diatta fut l'une des dirigeantes d'un mouvement de résistance fiscale pendant la Seconde Guerre mondiale.
Biographie
[modifier | modifier le code]Aline Sitoé Diatta naît en 1920 à Nialou, un quartier de la commune de Kabrousse, en Casamance, une région du sud du Sénégal, à l'époque colonie française au sein de l'Afrique-Occidentale française. Ses parents sont Silisia Diatta et Assonelo Diatta, mais elle est élevée par son oncle paternel Elaballin Diatta à la mort de son père.
Pour gagner sa vie, elle se rend à Ziguinchor pour travailler comme docker. Mais à cause des conditions de vie éprouvantes, elle va quitter la Casamance pour Dakar, où elle sera bonne à tout faire chez un colon, régisseur des produits de base dans l’Afrique de l'Ouest[2],[3]. C'est là qu'elle rencontre un homme lui aussi originaire de Kabrousse, Thomas Diatta, docker au port de Dakar, et elle aura une fille prénommée Seynabou. On ne sait pas encore si les deux hommes étaient mariés, ni ce qu'il advint plus tard de Thomas Diatta[4],[5].
En 1941, elle aurait entendu des voix lui enjoignant de libérer son peuple de l’administration coloniale. On dit qu'elle ignora d'abord cette voix, qu'elle attribua au dieu des Diola, Emitaï, pendant quelques jours. Quatre jours plus tard, elle était paralysée ; d'autres sources affirment cependant qu'elle était paralysée depuis son enfance[4].
Elle est ensuite ramenée en Casamance, la paralysie cessa dès son arrivée, mais une légère boiterie est restée[6]. Elle fut élue reine de son village Kabrousse et était considérée comme une prophétesse par son peuple. On l’appelait « la femme qui était plus qu’un homme ». On disait qu'elle avait des pouvoirs de guérison, et de nombreuses personnes se rendaient en pèlerinage auprès d'elle pour vivre un miracle[6].
Elle disait aussi être porteuse d’un message divin qui consistait en un retour aux sources. Ainsi, elle réhabilita l’ancienne semaine diola des 6 jours (5 jours travaillés et repos le 6e jour), ordonna des sacrifices, de nouvelles formes de prières, une nouvelle religion traditionnelle[3]. Après la pluie de juin 1942, on lui a attribué des capacités surnaturelles. L’attirance de Diatta pour le peuple a mis les Français en alerte[4].
Lorsque les autorités françaises ont confisqué la moitié de la récolte de riz de la région à cause de la guerre, Aline Sitoé Diatta et d'autres femmes du marché ont lancé une campagne : elles ont appelé la population à refuser de coopérer avec les Français, à cesser de payer les impôts, à rejeter la demande de cultiver des arachides au lieu du riz et à refuser d'être enrôlées dans l'armée française l'entraînant dans un mouvement de désobéissance civile[7],[8]. Elle a également réclamé de meilleures conditions de travail et le droit de pratiquer sa religion. En conséquence, des soulèvements ont éclaté. À cette époque, le Sénégal était sous le régime de Vichy[6],[9].
Le chercheur Paul Diedhiou donne en 2011 une version différente de ce parcours singulier. Aline Sitoé Diatta serait une féticheuse qui aurait reçu, lorsqu'elle vivait à Dakar, la révélation d'un culte de la pluie appelé Kasarah. De retour à Kabrousse, « elle reçut l’ordre d’assumer les responsabilités de prêtresse du culte Kassarah, le nom du fétiche. Elle commence alors à lancer des appels à travers les villages proches », appels qui ameutent la population et font craindre, aux représentants locaux de l'administration coloniale, un mouvement de rébellion[10],[11],[12].
En 1943, le pouvoir français était fragilisé par son effondrement militaire du début de la Seconde Guerre mondiale et cette région diola était réputée réfractaire à toute forme d'autorité autre que la tradition clanique. Considérée comme dangereuse par l'administration coloniale française, les forces armées ont alors mené plusieurs tentatives d'assassinat contre Aline, et le 8 mai 1943, elle est arrêtée avec 17 hommes qui, comme elle, sont condamnés à de lourdes peines. Onze d’entre eux sont morts au cours de la première année de leur incarcération. Des recherches historiques ultérieures suggèrent que les Français ont utilisé Aline Sitoé Diatta et ses compagnons de captivité comme « boucs émissaires » pour mettre fin à la révolte au sein de la population[5].
Elle fut ensuite jugée, puis alla d’une prison à l’autre au Sénégal et en Gambie et fut finalement déportée à Tombouctou, au Mali[3],[12], où elle meurt de mauvais traitements en 1944 à l'âge de 24 ans, devenant une figure emblématique de la résistance casamançaise à la colonisation[13],[8],[14].
Hommages
[modifier | modifier le code]Depuis sa mort, Diatta est devenue l'un des symboles les plus connus de la résistance en Afrique de l'Ouest et un symbole national au Sénégal, notamment en Casamance.
C'est le prêtre et homme politique sénégalais Augustin Diamacoune Senghor qui, à partir des années 1980, a érigé Aline Sitoé Diatta en héroïne nationale comme fondement idéologique de sa propre politique. Il a discuté avec le président de l’époque, Abdou Diouf, du droit d’interpréter la situation et de savoir à qui Diatta « appartenait » désormais. Il a également lancé des recherches sur son emprisonnement et sa mort, qui n'avaient pas été officiellement confirmées jusqu'alors[4].
- Son nom a été donné au campus social de l'université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (la cité Aline-Sitoé-Diatta) réservé aux étudiantes, à un stade de Ziguinchor (le stade Aline-Sitoé-Diatta), ainsi qu'à diverses écoles et organisations.
- Une exposition itinérante lui a été consacrée au Sénégal en 2007[15]. Elle est le sujet d'une œuvre du photographe portraitiste sénégalais Omar Victor DIOP, intitulée « Aline Sitoé Diatta, 1944 » (série « Liberty », 2017).
- Le Aline Sitoé Diatta est le bateau qui assure depuis 2008 la liaison Dakar-Ziguinchor, en remplacement du Wilis, lui-même successeur du Joola, dont le naufrage a marqué les mémoires au Sénégal.
- Le court-métrage À la recherche d'Aline réalisé par Rokhaya Marieme Baldé en 2020 est centré autour du personnage d'Aline Sitoé Diatta. Le court-métrage reçoit le prix du court-métrage documentaire à IndieLisboa (de) en 2021[16].
- Sorti en 2020, le roman biographique Aline et les hommes de guerre de l'écrivaine Karina Silla raconte la vie d'Aline Sitoé Diatta.
- Le prix Aline Sitoe Diatta est aussi un prix pubic décerné par l'association féministe Yewwu-Yewwi[17] au président du Burkina Faso Thomas Sankara en reconnaissance de son engagement en faveur de la promotion des droits des femmes[18].
- En 2008, une pièce de monnaie fantaisie non officielle du « Royaume de Kabrousse » a été émise en l'honneur de la Reine Aline Sitoé Diatta. La pièce la désigne comme « La femme qui était plus qu'un homme ».
Depuis les années 1990, la vie de Diatta a été reprise à de nombreuses reprises par des artistes, influençant ainsi la mémoire historique. Le musicien Alioune Kassé a écrit une chanson sur elle. L'auteur Marouba Fall a écrit la pièce Dame de Kabrus ainsi que le livre Aliin Sitooye Jaata : ou la Dame de Kabrus, qui tourne autour de Diatta[4].
En 2004, des lycéennes casamançaises ont célébré pendant deux jours les Journées Culturelles Aline Sitoé Diatta sur le site de l'ancienne Cité Claudel, qui porte aujourd'hui le nom de Diatta. Ils ont également appelé au retour des cendres de Diatta du Mali au Sénégal, même si leur localisation reste inconnue[19].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- ↑ AfricaNews, « Sur les traces d'Aline Sitoé Diatta, héroïne anticoloniale sénégalaise », sur Africanews, 2022-11-04cet16:58:46+01:00 (consulté le )
- ↑ « Indépendance: ces héroïnes africaines qui ont lutté contre le colonialisme », BBC News Afrique, (lire en ligne, consulté le )
- Au Sénégal et le cœur du Sénégal, « Aline Sitoé Diatta », sur Au Sénégal, le cœur du Sénégal, (consulté le )
- (en) Robert M. Baum, West Africa's Women God. Alinesitouné and die Diola Prophetic Tradition [« La femme - Déesse d'Afrique de l'Ouest. Aline Sitoé et la tradition prophétique diola. »], vol. 39, Indiana University Press, (ISBN 978-0-253-01788-8), p. 139–157
- (en) Meghan O'Donoghue, Alinesitoué Diatta: Rebel Leader or Colonial Scapegoat?: Conflicting French Narratives on a Senegalese Prophetess, 1942–1943, coll. « French Historical Studies » (no 47), (lire en ligne), chap. 3, p. 481–516
- « Indépendance: ces héroïnes africaines qui ont lutté contre le colonialisme - BBC News Afrique », bbc.com, (consulté le )
- ↑ Jean Girard, Genèse du pouvoir charismatique en Basse Casamance (Sénégal), Institut fondamental d'Afrique noire, , p. 236-248.
- Sylvia Serbin et Ravaomalala Rasoanaivo-Randriamamonjy, Femmes africaines, panafricanisme et renaissance africaine, Éditions de l'Unesco, (lire en ligne), p. 49.
- ↑ (en) « Aline Sitoé Diatta | Department of History | University of Bristol », bristol.ac.uk, (consulté le )
- ↑ « Aline Sitoé Diatta n’est pas une héroïne mais une simple fétichiste », Leral.net, (lire en ligne).
- ↑ « La figure emblématique d’Aline Sitoë Diatta est une invention intellectuelle », Seneweb, (lire en ligne).
- GEO avec AFP, « Sur les traces d'Aline Sitoé Diatta, mystérieuse héroïne anticoloniale sénégalaise », sur Geo.fr, (consulté le )
- ↑ Mohamed Lamine Manga, La Casamance dans l'histoire contemporaine du Sénégal, Editions L'Harmattan, (ISBN 978-2-296-99307-5, lire en ligne), p. 40
- ↑ « Aline Sitoé Diatta, reine africaine contre les colons, une réhabilitation signée Karine Silla | TV5MONDE - Informations », sur information.tv5monde.com, (consulté le )
- ↑ « Expo Aline Sitoé DIATTA… : La dame de Cabrousse, symbole de refus et de paix », sur Seneweb.com, (consulté le )
- ↑ (en-US) « Here are the awarded films of IndieLisboa 2021 », sur IndieLisboa, (consulté le )
- ↑ Oumar Kane et Hawa Kane, « The origins of the feminist movement in Senegal: A social history of the pioneering Yewwu-Yewwi », African Sociological Review, vol. 22, no 1, , p. 18–30 (JSTOR 90023844, lire en ligne)
- ↑ (en) Oumar Kane et Hawa Kane, « The origins of the feminist movement in Senegal: A social history of the pioneering Yewwu-Yewwi », African Sociological Review / Revue Africaine de Sociologie, vol. 22, no 1, , p. 18–30 (ISSN 1027-4332, lire en ligne, consulté le )
- ↑ [1] (version du sur Internet Archive) : « Journées culturelles Aline Sitoé Diatta : Les étudiantes réclament les cendres de leur marraine »
Annexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie et sources
[modifier | modifier le code]- Brassart Laurent, Fredj Claire, Ramondy Karine, L'empire colonial français en Afrique. Métropole et colonies, sociétés coloniales de la conférence de Berlin (1884-1885) aux accords d'Evian de 1962, Bréal, coll. "Amphi Capes Agrégation", 2023, 318 p., chapitre "Contester l'ordre colonial (1885-1962)", pp.244-263
- (en) Wilmetta Jesvalynn Toliver, Aline Sitoe Diatta: addressing historical silences through Senegalese culture, Ann Arbor, UMI Dissertation Services, 2002, 318 p. (thèse université Stanford, 1999)
- (en) W. J. Toliver-Diallo, « The Woman Who Was More Than a Man: Making Aline Sitoe Diatta into a National Heroine in Senegal », Canadian Journal of African Studies, 2005, vol. 39, no 2, p. 338-360
Dans la littérature
[modifier | modifier le code]- Karine Silla, Aline et les hommes de guerre (roman), éditions de l'Observatoire, 2020 (ISBN 9791032908464)
Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
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- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :